Stolpersteine 67 : la pause en 2020

Les mois d’avril et de mai derniers, un an exactement après les poses fortement symboliques du 1er mai 2019 à Strasbourg, les premières dans la capitale du Grand Est et capitale de l’Europe, les communes de Diemeringen, d’Ingwiller, de Bouxwiller, de Barr, la Fondation protestante Sonnenhof à Bischwiller et Strasbourg ville à nouveau, devaient accueillir 56 pavés de la mémoire, des Stolpersteine commémorant la déportation des citoyens, quasiment tous juifs, natifs de ces communes.

La pandémie internationale due au Covid 19 nous a imposé d’annuler toutes ces manifestations pour 2020 dans le Bas-Rhin, la Fondation berlinoise de Gunter Demnig a pratiquement annulé toutes les poses de Stolpersteine dans de nombreux pays européens au printemps, en été et à l’automne 2020. Le contexte lié à l’urgence et aux dispositions sanitaires a affecté toutes les manifestations et cérémonies officielles prévues autour de ces différentes poses qui ont dû être suspendues, mettant un coup de frein à cette dynamique mémorielle engagée autour des pavés de la mémoire depuis maintenant 2 années avec le collectif Stolpersteine 67 de Strasbourg dont je tiens à saluer l’engagement. Notre exposition qui devait se tenir à l’Assemblée nationale à Paris en novembre de cette année est repoussée d’un an au moins.

Selon la Fondation de Berlin, La reprise se fera probablement en 2021 et pas avant ; à l’heure qu’il est, il nous est difficile de vous communiquer les dates qui seront retenues pour ces cérémonies. 

Le plus grand mémorial délocalisé de la Shoah et de la déportation en Europe

Les Stolpersteine, sont devenus en l’espace de 25 ans, le plus grand mémorial délocalisé de la Shoah et de la déportation en Europe, plus de 70 000 pavés de laiton doré ont été posés depuis 1995. Ce geste, à son origine est une démarche artistique, il a été  initié par l’artiste allemand Gunter Demnig, il se situe entre acte mémoriel et spectralité, il réinstalle dans l’espace public, devant leur dernier domicile, la mémoire de ceux qui ont franchi le seuil de leur maison pour la dernière fois. « Ce contre-monument » disséminé dans toute l’Europe, contrairement à tous les autres mémoriaux construits sur un seul lieu, comme par exemple celui d’Eisenmann à Berlin, continue de s’étendre chaque année, au fil de la pose de ces pavés en laiton.

1er mai 2019 – Première pose des Stolpersteine par l’artiste Gunter Demnig, rue de Barr à Strasbourg et cérémonie officielle suite à ces premières poses en présence du maire, Roland Ries et du président de l’Eurométropole Robert Hermann, au Centre chorégraphique de la ville

Les Stolpersteine constituent un contre-monument au sens où contrairement à ceux mis en place par les états, les initiatives sont ici individuelles et se focalisent sur la victime en tant qu’individu et en tant que déporté.

Le Covid 19 a-t-il fait passer les commémorations aux oubliettes !?

Dans l’ouvrage collectif Empreinte, publié aux Mille Sources en 2004, le philosophe Jean Greisch écrivait : « La notion de trace est intimement liée à la notion d’oubli et la continuité de l’histoire et de la mémoire est assurée par les traces… » Cette idée de continuité historique via la trace et l’empreinte, qui fonctionnent comme des marqueurs culturels et mémoriels à la fois, est bouleversées aujourd’hui et pas seulement pour les poses de Stolpersteine.                                                                                                                          

La situation que nous traversons a totalement reconfiguré le paysage des célébrations mémorielles. Dans une tribune qu’elle a cosigné avec Robert Steegmann dans le journal Libération au mois d’avril dernier, Frédérique Neau-Dufour qui a dirigé le CERD durant plusieurs années, a fait remarquer que les commémorations de la Journée nationale de la déportation était passées aux oubliettes et que cela n’avait provoqué aucune réaction publique. Elle note à ce propos avec Robert Steegmann : « Si l’on est optimiste, on peut penser que l’opinion considère la mémoire collective comme hors d’atteinte du virus actuel : elle lui survivra. Si on l’est moins, on peut y voir un certain désintérêt de la population pour une histoire qui semble désormais éloignée de ses centres d’intérêt… » Je rajouterai de ses impératifs et de ses urgences…

La journée nationale des héros et victimes de la déportation en France, comme le Yom Hashoah et le Yom Hazikaron en Israël, n’ont pas été célébrés cette année comme d’habitude, les millions de victimes de la Shoah et tous ceux qui ont combattu au prix de leur vie contre le nazisme, le fascisme et tous les totalitarismes, n’ont pas eu de cérémonie officielle, on n’a pas prononcé leur nom et on a pas récité le Kaddish en présence d’un Minyan… La plateforme zoom n’a été par moment qu’un pis-aller de substitution.

verre de l'Amitié au Palais des fêtes
Au Palais des fêtes lors des poses de 2019.

Depuis 25 ans déjà, les Stolpersteine ont trouvé une place dans les pratiques commémoratives de toute l’Europe, il ne s’est pas passé pas une semaine sans qu’une pose n’ait lieu dans l’un des 26 pays rentrés dans ce projet, mais aujourd’hui, c’est la pause… Nous attendons des jours meilleurs. Souhaitons que l’année 2021 nous permettre de retrouver progressivement nos activités, la perpétuation de la mémoire de tous ceux qui ont disparu dans les conditions terribles que nous connaissons, demeure centrale au cœur même de toutes nos célébrations et commémorations. Cette convocation de la mémoire à travers les Stolpersteine (aussi) est primordiale, elle est celle de la pensée réflexive, condition sans laquelle notre humanité ne peut s’envisager en progrès et en devenir, face à l’inéluctable érosion de la mémoire et à la fragilité du souvenir.